2009 : échos (page 5)

Par Antoine Choplin

UNE LETTRE DE VOLODARKA (extrait)

[Ukraine, environs de Tchernobyl, septembre 2009]

[…]

Ici, dans les environs de Rudnia Osochia, rien n’empêche de planter sa tente ou de ramasser des champignons.

Je quitte le goudron, progresse parmi les hautes herbes, m’approche des maisons aux toits effondrés. Je regarde au travers des vitres brisées, explore les intérieurs dévastés.
Dans le chuintement continu de ma respiration, j’interroge mes motifs.
Ce que je fais là. Pourquoi je bats cette campagne.
En vérité, j’avance ici comme à tâtons, sans la moindre acuité. Mon semblant de lucidité n’est qu’une farce, une histoire que je me raconte. J’en distingue au loin la supercherie.
Tout au plus, je trottine dans l’intrépidité de l’enfance, avec même, pourquoi pas, par instants, un étrange et sournois plaisir à me trouver là, à aviser un nouvel objectif, à le dépasser.
Des motifs d’écrivain ?
À ce moment, la littérature semble de peu de poids.
La seule pesanteur peut-être, ce serait cette confiance que tu accordes à ma plume, à te ramener quelque chose de ces terres qui furent les tiennes.
Mais comment faire ?

Comment faire avec le fond des forêts contre lequel il me semble que plusieurs fois, je me suis brisé ?
Franchissant les lisières, hasardant quelques pas, une vingtaine pas plus, parmi la rousseur des troncs, j’ai éprouvé chaque fois ce mur indépassable, dressé sous les ordres insistants du dosimètre et j’ai battu en retraite, la sueur au front. Renoncé au sol tendre, retourné à la lumière, au pas de course.

Comment faire aussi avec cette solitude d’ici ? Comment témoigner de ce vertige qui t’attrape la poitrine ?
Quand je pense à la belle solitude du montagnard, choisie, gagnée avec lenteur aux flancs des pentes rudes.
Quand celle-ci te dégringole sur la nuque, brutale et stupéfiante. Après tout, n’y a-t-il pas ici des routes et des maisons, fussent-elles en ruines ? N’a-t-on pas ici, dansé, chanté, préparé la soupe ? N’a-t-on pas circulé le long de ce ruban de goudron ?
Ces lieux ont vécu.
Ils se taisent horriblement.

Cette viduité me tord le ventre.
Cette solitude immense n’est pas seulement la mienne. C’est celle de mon espèce, humaine.

Tu vois ces bredouillements.
Ils valent encore moins que l’effrayant croassement des corbeaux volant à la cime des arbres.
C’est peut-être à eux qu’il faudrait confier le récit.
Voilà une idée. Un monologue de corbeau pour raconter les forêts sales et désertes de Tchernobyl.

[…]

© AC (texte & photo) – Lire la suite de « Lettre de Volodarka »