2009 : échos (page 4)

Par Cathy Blisson

MAI 2008, JOURNALISTE

Tu reviens d’Ukraine, banlieue de Tchernobyl.

En France, les gens te demandent : c’est comment, ça ressemble à quoi, la banlieue de Tchernobyl. Entre deux blagues sur la radioactivité qui te fait sûrement briller la nuit, vert ou fluo, c’est selon.
Alors voilà, tu souris gentiment à la blague entendue 20 fois, et puis, tu écris, tu racontes.
Tu racontes l’invisible, l’inaudible, l’inodore de la radioactivité. Tu racontes la beauté si incroyablement évidente des villages évacués un jour ou cinq ans après la catastrophe. Des villages fantômes. Tu racontes une certaine qualité de silence, le concert de grenouilles qui peut surgir d’un étang, là où il n’y a plus de bagnoles, plus de bruits d’hommes.
Tu essaies de raconter l’irracontable.
Un concert de grenouilles, oui. Une fois, du côté du village abandonné de Bober, c’est monté comme un gospel, à deux choeurs.
« Une plainte… et une protestation », a dit Pascal.
J’ai enregistré, j’ai la bande. On dit le fichier .wav, maintenant qu’on est à l’ère du numérique.

Là bas, elle paraît un peu loin l’ère du numérique. Très très anachronique.
Mais avec les outils de l’ère numérique, on grave les dégâts post-nucléaires, qui ont maintenu sous cloche un bout de l’Ukraine rurale du XXe siècle.
Et sous certains aspects, cette Ukraine rurale du XXIe siècle fait penser aux récits d’une certaine France rurale du XIXe siècle.

Le village de Volodarka, à 45 km de la centrale éventrée, n’a pas été évacué, le taux de radioactivité mesuré là n’a pas dépassé le seuil de 0,30 micro-sieverts/heure qui marquait le début de l’exode.
À quelques kilomètres à peine, tout le monde était mis dans des bus, la faute aux éléments qui avaient charrié là des radio-nucléïdes, que l’homme avait malencontreusement laissé échapper.
À Volodarka, 200 habitants, il y a l’électricité, mais pas l’eau courante, qui se tire au puits, poulies, sceaux métalliques. Les téléphones portables, par contre, sont partout, décidément. Avec leur lot de sonneries absurdes.

(…)

Et c’est comme ça que tu décides de retourner en banlieue de Tchernobyl. Que ça s’impose, que ça tombe sous le sens. Pour un chœur de grenouilles, et une chanson russe qui sonne joliment faux quand la vodka s’en mêle.
Pour une plainte, et une protestation.
Avec une justification, faire du son, faire entendre le contraste entre le criard et le presque rien, le riant et l’écorché vif.
Dans un endroit où, à priori, l’homme ne peut raisonnablement demeurer. Dans un endroit où à postériori, l’homme demeure, un peu, obstinément.
Et c’est comme ça qu’un an et demi après, un jour d’août 2009, tu te retrouves sur cette même route qui mène à Tchernobyl.
Zone contaminante.

© CB (texte & photo) / Zone Contaminante, Carnets d’Ukraine, extrait zéro.