2019 : nitrates (page 2)

Slavoutytch

Le premier secteur, au nord-est, est une ville spacieuse, construite d’une traite après l’accident pour remplacer la ville dortoir de Pripiat et accueillir le personnel du complexe nucléaire. Bâtie dans un secteur plus ou moins épargné par les retombées radioactives, Slavoutytch est connectée à Tchernobyl par cinquante kilomètres d’une liaison ferroviaire réservée.

À l’occasion du trente-troisième anniversaire de la catastrophe, une conférence internationale (International Conference on Nuclear Decommissioning and Environment Recovery) réunit les spécialistes du post-accidentel, une discipline un peu mieux assumée depuis Fukushima.

Il y est question d’optimiser des méthodes de surveillance, de suivre l’évolution de la contamination des eaux, de constater l’apparition du strontium dans les plantes aquatiques trente ans après, ou encore de valider les modèles de dispersion des effluents gazeux. Un jeune chercheur japonais a fait le déplacement.
Ce 25 avril, les exposés ont lieu dans le bâtiment administratif du complexe nucléaire.

Dans la salle, sur les deux grands murs en vis-à-vis, une vaste image du réacteur éventré regarde une vue aérienne contemporaine. Le sarcophage flambant neuf se veut le symbole d’une reprise en main de l’impensable.

La conférence est l’occasion pour la jeune génération scientifique de visiter l’épicentre du problème. Le groupe arpente les couloirs du complexe, approche les équipements, se photographie abondamment devant les panneaux de voyants de la salle de commande où le guide recommande de ne toucher à rien : des systèmes pilotent ici le refroidissement des réacteurs à l’arrêt.

Au plus près du réacteur accidenté, masque et gants, le compteur grimpe tout de suite. On se figure un peu mieux l’intensité du stress qui dut gagner les hommes dans ce dédale glauque.

Mais trente-trois ans plus tard, l’organisateur de la conférence se préoccupe de la reconversion de Slavoutytch. L’économie ukrainienne est sinistrée et les incitations fiscales ont disparu.

Comment tirer parti du savoir-faire nucléaire ? Comment faciliter l’implantation de nouvelles activités ? Un fabricant de lampes à led s’est installé. La plus jeune ville d’Ukraine veut parier sur les énergies nouvelles, autant que sur l’expérience professionnelle d’une population éduquée et spécialisée.

En marge des échanges techniques, un concours d’idées met en compétition quelques équipes d’adolescents. Leurs parents travaillent à la centrale. Eux se rêvent cadres dans le secteur des services, mais à Kiev ou à l’étranger. Ils reviendront à Slavoutytch quand ils auront gagné de l’argent et parce que la ville est calme, sûre et plus propre que la capitale, disent-ils. Ils se voient célibataires longtemps.

Dans la nuit de ce 26 avril, les sirènes de deux camions de pompiers se déclenchent, épaulées par les cloches.
Une foule importante défile devant le monument aux premiers liquidateurs de Tchernobyl. Deux rangs de jeunes gens et la flamme fragile de leurs bougies les canalisent. Un haut-parleur diffuse en boucle un poème sur une musique mélodramatique. On dépose des fleurs. On sent dans cette commémoration que chacun ici est encore intimement concerné.
Si Slavoutytch cherche sa place dans le 21ème siècle sous l’étiquette d’un renouveau technologique, cette nuit célèbre aussi sa fondation.