Soyons clairs

Soyons clairs.

Sortir du nucléaire, pour reprendre un mot d’ordre emblématique, ne signifie pas rallumer les bougies, éteindre la téloche, pédaler du vélo, coller des manivelles sur nos précieux machins mobiles.
Sortir du nucléaire ne signifie pas rogner davantage de charbon, de pétrole, de gaz, ces faiseurs de gras (beurk).

Sortir du nucléaire ne signifie pas détordre la science (qui popote du côté de la fusion maintenant), ne signifie pas mettre au pas nos citoyens-chercheurs sur le cahier des charges que je leur indiquerai (pas de déchet, impossibilité d’en faire des armes, générateurs de toute petite taille, etc).
Et sortir du nucléaire ne signifie pas fermer les réacteurs.

L’expression « sortir du nucléaire » signifie littéralement : « chercher une autre planète pour y faire pousser nos gamètes ».

Sortir du nucléaire signifie sortir d’ici. Ni plus ni moins.

Pour en prendre conscience, il suffit de lire dans la fiche d’identité du césium 137 que cet élément n’existe pas à l’état naturel. Et ne parlons pas du plutonium.
Une espèce ambitieuse comme l’est Homo Sapiens peut-elle se contenter de l’état naturel ? Puisque nous sommes faits pour ça, posons la question.
Mais parier que nos génomes sauront se débrouiller -à temps- en présence de stress inconnus il y a soixante dix ans est une escroquerie.

Revenons-en au slogan.
Imaginons s’il vous plait qu’un gouvernement nucléophile aient les couilles d’appuyer sur le bouton « stop ». Imaginons qu’un gouvernement foutent un coup de pied dans la banque. Imaginons un instant que ça soit même plaisant (je veux dire que l’on l’y pousse un peu ce gouvernement) : que se passe-t-il ensuite ?
Les ressources économiques de la filière nucléaire ne sont d’ores et déjà pas suffisantes pour prendre en charge l’avenir de ses crottes disons… normales. Ce n’est pas un problème comptable, c’est quelque chose de sidéral : mille siècles. Quelle entité sociale humaine peut y prétendre ? Chaque fois que j’appuie sur l’interrupteur, je colonise un peu mille siècles en avant.
L’actuelle puissance financière de la filière nucléaire n’est pas suffisante pour payer Tchernobyl et Fukushima, pour ne citer que les gros cancers. Ils ne sont assurables que par l’avenir des nations sur les territoires desquelles ils s’étalent. La prime est exorbitante.
Tout comme les budgets de guerre ne sauraient jamais payer le coût des armes nucléaires.
Je parle des sommes qu’il faudrait empiler sur la table s’il s’agissait de remettre les choses comme elles étaient avant, disons, 1940 (négligeons Marie Curie et compagnie, des artisans).

Faisons l’essai : sortons-le de nos biotopes, allons-y, sortons le nucléaire.

Obligeons nos colonels Dugland à ramasser la moindre particule de plutonium -leur bijou de famille-, à écrémer la totalité de l’atmosphère, à rendre à la totalité des espèces vivantes leur potentiel génétique d’avant 1940 (qui commande, merde ?). Et pendant qu’ils filtrent les masses océaniques, profitons-en pour dépeliculer le fond du monde de notre goût pour la chimie appliquée. Et ne parlons pas du moderne uranium appauvri, volubile et pimpant.
Obligeons-les à en faire quelque chose qui ne nous concerne jamais plus. Ni nous ni aucun autre être vivant.
Et comment donc ? Mais qu’ils se débrouillent !
Obligeons nos savants à regarder une heure durant un radiateur électrique, obligeons-les à revoir la totalité des équations que cet appareil met en branle, histoire de voir si quelque chose ne leur a pas échappé. Et s’il faut les y laisser trois jours ou cent, d’accord : laissons-les contempler l’abyssale incarnation domestique de leur regard sur le monde. Empêchons-les d’échapper à la responsabilité de leurs idées. Que ça les crispe un peu.
Obligeons, un mois durant, tel président nucléocrate à nourrir à la petite cuillère un seul gosse mal fini.
Impossible ? Probablement.
Soyons modestes (et l’on voit déjà le problème) : arrêtons les centrales.
Appuyons sur « off » : la filière tombe. La puissance financière tombe. Qui paye le démontage précautionneux de nos cocottes ?
A pleine puissance financière, la filière n’en est pas capable. Tout comme elle n’est pas capable de payer quand ça pète.
Tchernobyl a mis la finance soviétique à genoux. Le Japon paiera pour Fukushima. Ou plutôt l’avenir du Japon. L’opérateur n’en a pas les moyens. Pourquoi les atomistes ne mettent-ils pas au pot comme les pétroleurs ?
Qui payera le démontage de nos réacteurs ? Les états n’ont pas de puissance. Le système bancaire leur bricole une autonomie factice.
Nous ne sortirons pas du nucléaire.
Il est en nous.
Nous se sortirons pas de nous-mêmes.

A l’issue d’une représentation de L’Île de T., quelqu’un a dit : « vous ne donnez pas de solution, vous n’indiquez pas de lumière ».
Il n’est pas si simple d’inventer l’idée de Dieu, Madame.
Je plaisante.
Il n’est pas si simple de trouver une autre planète et il n’est pas si simple d’adapter notre organisme à nos idées. À la vitesse de nos idées.
Que voulez-vous que je vous dise ? Multiplions les moyens de production individuelle, histoire de sécher les consortium ? Éteignons la lumière ? Coupons-la en quatre ? Le mal est fait.
Il est fait.
L’option nucléaire n’inclut pas la possibilité d’en sortir. Pour en ouvrir, il faut changer de pensée. Nous savons bien par quel genre de vague la pensée change à l’échelle d’une société, pire à l’échelle d’une doctrine. Et la vague d’une marche arrière n’est pas compatible avec la fragilité d’un réacteur : sa sécurité est dynamique. Elle nécessite des soins constants. Elle ne supporte pas la défection, l’abandon, la carence, la réduction, la grève, la crise, la révolution. Assistanat tyrannique.
Ou bien nous nous adaptons (nos gènes) ou bien tant pis.

Un brin d’immédiat :
Confions la sauvegarde de nos centrales nucléaires au ministère de la Culture. Il n’y a pas plus pointilleux en matière de monuments fragiles. Ne font-ils pas des miracles ?
Mais je vais réfléchir davantage à cette idée, voir si par hasard quelque chose d’absurde ne risquerait pas de mal tourner. Je vais même y réfléchir si longtemps que, probablement, je l’oublierai (cette idée).

Que deviennent les centrales tandis que j’y réfléchis ? Elles s’étirent.

Les accidents surviennent en avril (rupture d’impensable).
Et en mars.