Bon anniversaire

Bon anniversaire mon grand.

Tes copains japonais sont de la partie. C’est la fête.
On leur pisse dessus : s’en foutent. Ils t’envoient des miettes de fraîche : pas loin de vingt-cinq ans que tu n’avais pas vu d’iode de catastrophe. Paraît qu’il n’en restera rien après tant de milliers de kilomètres, surtout qu’ils n’ont pas choisi le chemin le plus court. C’est l’intention qui compte.

Et puis la couverture presse est du tonnerre. Je ne dis pas que tu n’aurais pas eu des reportages et des visites, des témoignages très bien et des manifestations jaune vif, pour ton anniversaire. Mais là, ça a franchement de la gueule.

Ça m’a fait drôle de voir comme ils ont bien fait les choses, reconstitution historique, tout ça : les hélicoptères balourds, les types petits, les discours ampoulés, les gamins passés au compteur, les plans sur la comète. C’est beau d’en revenir aux fondamentaux du sapeur-pompier et d’arroser les pétards de lave à travers les débris. Je te connais un peu, faut bien dire que ta naissance commence à dater. Et du coup, revoir ce bazar tapisser les télés, c’est émouvant. Bon, on ne va pas se chialer dessus. On veut l’électricité et on a trouvé bandant de la fabriquer comme ça.

Moi, je t’offrirai deux aiguilles peintes en vert : elles tapent quand même à 20-25 microSievert à l’heure. Contribution française : elles viennent d’un réveil Bayard des années soixante. Un temps où l’on ne faisait pas tant de chichis. Je sais, 25 micro, ça n’a l’air de rien maintenant que ça fuse autour du demi Sievert/heure aux dessus des cœurs pétés nippons. Mais je n’ai que ça. Et en plus, tu attendras la date de ton anniversaire. Enfin si tes frangins ne soufflent pas les bougies d’ici là. Ah… les jeunes. Remarque, grâce à eux la moitié riche de la planète a entendu parler du Sievert maintenant.

Je croyais qu’ils allaient sortir les robots, mais non. Ou bien ils n’ont pas voulu les rayer ou bien ça coûtait quelque chose de cher ou bien ce n’était pas le moment d’aller voir de près. Je ne sais pas, j’imagine.
Non, je t’ai déjà expliqué, ce n’est plus du ressort de la police d’État. C’est autre chose maintenant. Nous avons les chiffres en temps réel. Quelques-uns. Cela dit, tu vois, on a relevé les seuils comme pour toi : c’est la gestion de crise qui veut ça. Ça doit être un corollaire des normes : les types peuvent prendre 250 milli tout à coup. Quelle pitié. Les épinards sont fichus et le lait qui, comme on le sait, pousse dans les vaches.
Bon, j’arrête de t’embêter avec nos détails.

Je te souhaite une très longue vie. Tu es tout jeune. Il y aura une nouvelle zone interdite dans le Pacifique, tu te sentiras moins seul, vous pourrez échanger. Il y avait celle de Moruroa, mais ce n’est pas pareil – je t’ai déjà expliqué –. Tu goûteras le saké, ça te changera de la vodka. Pas de raison que ça saoule moins bien.
On ne sera pas là en avril, on attend un bébé, il ne va pas tarder. On viendra un peu plus tard, dans l’été.

Bon anniversaire mon grand.