Radio Tchernobyl on line

Il nous est arrivé un truc bizarre. Nous avons lu un livre.
Nous l’avons cru. Nous sommes allés voir.

C’était en 2006.
Ça n’est jamais ressorti de nous.
Nous en avons longtemps parlé tous les jours.
Nous connaissons bien des détails.
Nous observons le trajet en nous de ce moment de l’histoire qui ne finira pas.
Il nous habite.
Nos vies se sont en partie réglées sur la nécessité d’en témoigner.
Pas témoigner de l’événement, témoigner de ce qu’il nous fait.
L’événement appartient au passé.
Son ombre couvre le présent, couvre tant d’avenir qu’il ne sera pas possible de le suivre jusqu’au bout, ni pour nous ni pour autant de générations qu’il en est déjà nées.
Est-ce concevable ?

Nous sommes fascinés.
L’intérêt morbide nous a quitté dès le premier séjour.
La réalité est plus troublante.
Nous choisissons d’en témoigner.
De donner à entendre ce trouble, cette emprise, cette amplitude.
Ni comme journaliste, ni comme chercheur.
Ni comme militant, ni comme activiste.
Pas même comme citoyen (l’auto-responsabilisation : fumer tue, ne commencez pas me dit l’état paternaliste, mais papa continue de vendre du tabac).
Nos moyens nous apparentent à des artistes. C’est la moindre contorsion.
Quoi d’autre : un sacerdoce ?
Nous n’avons pas tout à fait assez foi en l’homme (il doit manquer un millimètre).
Le temps de vie que nous consacrons à l’espace-temps de Tchernobyl, quelle fonction remplit-il ?
Un peu de vent par la porte entrouverte.
Un peu de vent sur la passerelle entre la Zone et nous, qui n’arrivons pas tout à fait à y croire (il doit manquer moins d’un millimètre).
Comme dit Morgane : « nous y sommes, vous y êtes ».

C’est le courage des Russes
De se pleurer dessus
Quand l’ouvrage a fini de manger
L’audace.
(anonyme)